COMPRENDRE LA STRATÉGIE COMMUNICATIONNELLE DE DAESH pour les besoins de la prise en charge
by Hasna
Posted on novembre 11, 2019
Par Hasna HUSSEIN, article publié dans la revue Les cahiers de l’Orient (2019/2 N° 134, p. 135-149)
La défaite militaire de Daesh en Syrie fait la Une des médias notamment après la reprise de l’offensive menée par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) contre les derniers combattants, retranchés dans une poche du village de Baghouz, dans la province de Deir Ezzor. Mais cette perte de territoire signifie-t-elle pour autant la ‘fin’ de Daesh ? De quelles manières ces défaites vont impacter la stratégie communicationnelle de ce groupe ? Et quelles sont les stratégies mises en place par Daesh pour les contourner ?
Malgré ces multiples défaites notamment depuis la formation en 2014 de la coalition internationale[1], Daesh « demeure actif à la fois dans le monde réel et virtuel » (Conway, 2018). Daesh figure parmi les groupes djihadistes les plus meurtriers au monde, selon le dernier rapport du Global Terrorism Index, GTI[2]. En septembre 2018, Daesh a mené 467 attaques dont 228 en Iraq et 172 en Syrie (Conway, 2018). La France fait partie des pays les plus touchés par le terrorisme lié directement ou indirectement à Daesh, selon ce rapport[3].
Or, la force de frappe de Daesh sur Internet et les réseaux sociaux ne fait que se développer et se métamorphoser. Daesh a en effet développé une(e) arsenal médiatique ultra sophistiqué et beaucoup plus complexe que ce que laissent entendre les médias grand public (Winter, 2015 ; Salazar, 2015). Cet arsenal vise en premier lieu à diffuser son idéologie et à recruter de nouveaux sympathisants (Hecker, 2015). L’armée de propagande de Daesh continue en effet à inonder l’espace numérique avec toutes sortes de productions des plus modernes : images et vidéos de propagande, magazines, bulletins de guerres, textes de leaders, anasheed (chants), infographies, etc. disponibles en une trentaine de langues : arabe, français, anglais, allemand, chinois, turc…. La propagande numérique de Daesh constitue son principal moyen de promotion et de légitimation de son projet politique de califat et des crimes de masses qu’il suppose (Hussein, 2018).
Cette contribution propose d’apporter un éclairage sur les transformations dans la stratégie de recrutement numérique de Daesh. Et cela, à partir d’une analyse critique des codes discursifs et visuels de sa propagande. Comment cette propagande s’adapte-t-il aux changements sur le terrain ? Quels sont les nouveaux genres discursifs et visuels véhiculés par cette propagande pour attirer de nouveaux sympathisants ? La politique de désengagement doit forcément s’appuyer sur une bonne connaissance de l’offre idéologique djihadiste et son évolution dans le temps ainsi que des mécanismes de recrutement.
Une propagande moins présente mais toujours opérationnelle
De janvier à septembre 2018, le nombre de productions médiatiques propagandistes publiées par Daesh a connu une baisse, avec en moyenne 616 produits par mois contre 947 pour la même période en 2017 (Conway, 2018). Les frappes de la coalition internationale ont sans aucun doute impacté la stratégie communicationnelle offshore[4] du groupe. Cette « perturbation » (Conway & al., 2018) est en outre liée aux nouvelles mesures mises en place par les « géants du web », connus sous l’acronyme GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) [5], pour supprimer des comptes pour « violations liées à l’apologie du terrorisme » (Ibid). On parle d’un total de 1 210 357 comptes Twitter qui ont été suspendus entre août 2015 et décembre 2017, selon la même source. Afin de contourner ses mesures, la propagande de Daesh va déplacer le principal de son activité vers Telegram, une application de messagerie réputée pour sa sécurisé[6], au détriment d’une large diffusion. Amaq (« profondeur »), l’un des organes de propagande de Daesh, dispose en effet d’une chaîne sur l’application.
Malgré cela, la stratégie communicationnelle de Daesh demeure active, professionnelle et opérationnelle. Un professionnalisme qui s’inspire largement des arts et des nouvelles techniques de productions cinématographiques et télévisuelles. Une analyse quantitative des images utilisées dans les productions médiatiques de Daesh révèle que « plus de 15% de celles-ci s’inspirent directement de la culture populaire tels que les films Saw, The Matrix, Americain Sniper et V for Vendetta, ou de Videogames tels que Call of Dutty, Mortal Combat X et Grand Theft Auto » (Bouzar, Caupenne, Valsan 2014 ; Lesaca, 2015). En se référant à des images issues de la culture industrielle moderne, Daesh entend faire la promotion de son projet politique fondé sur une « contre-culture » (Lesaca, 2015) auprès de jeunes dont l’imaginaire est réceptif à ce genre de références.
La propagande officielle de Daesh est ultra-ciblée. Elle s’adresse principalement aux jeunes avec des produits ayant une capacité de séduction assez élevée auprès de ces catégories d’âges (Loza 2007, Briggs Obe & Siverman 2014, United Nation Security Conseil 2015, CIPC 2017, Bouzar 2017, Hussein 2017a). Les produits phares demeurent les vidéos et les anasheed djihadistes (chants rituels). Les dernières vidéos de Daech continuent à utiliser les effets spéciaux en image (3D) et en son, les anasheed. Pour les images, il s’agit souvent d’une combinaison entre des clichés d’abord diffusés par les géants des médias d’information (CNN, Euronews, BBC, Al-Jazeera, BFMTV, etc.) puis détournés, ou des images issues de la pop culture (de films hollywoodiens ou de videogames) ; ou même des images tournées par leurs propres équipes médias de l’organisation terroriste. Quant aux anasheed, il s’agit des « chants polyphoniques, hétérogènes sur le niveau de sophistication des plans sonores, systématiquement travaillés avec des logiciels audios rajoutant des effets divers (réverbération, écho, delay, filtres) » (Vemasco-Pufleau, 2015). Ce genre « musical » constitue en effet un alternatif à la musique prohibée dans l’idéologie salafiste djihadiste. La machine propagandiste daeshienne continue à produire ce genre « musical » qui constitue un outil d’initiation et de préparation au djihad (Hussein, 2017a).
La qualité professionnelle et le flux continu qui caractérisent la stratégie communicationnelle de Daesh révèlent la présence d’une armée médiatique interne et externe, mais aussi l’énorme budget de cette machine de propagande médiatique. D’où l’urgence de développer des stratégies communicationnelles et de mobiliser de grands moyens technologiques et humains pour la contrer.
Une propagande de plus en plus centrée sur l’aspect militaire etla notion de « patience »
(Changement de paragraphe)
La propagande de Daesh se focalise de plus en plus sur la dimension militaire. Cette dernière occupe une partie centrale notamment dans les productions audiovisuelles du groupe. Al-Hayat Media Center, la boîte de production en langue étrangère de Daesh, lance « une nouvelle série de vidéos sur les statistiques de ses opérations militaires »[7] (cf le graphique ci-dessous).
Ce changement qualitatif s’opère également dans la propagande officielle écrite de Daesh. L’hebdomadaire arabophone en ligne, al-Nabaa (« L’information »), possède désormais une nouvelle rubrique dédiée à l’infographie militaire, Hassad al-ajnad (Bulletin des soldats). L’apparition de cette rubrique qui vise à renforcer la motivation des moudjahidin, remonte au 22 décembre 2017. L’hebdomadaire paru sous une nouvelle forme en octobre 2015 proposait un contenu plus varié regroupant des textes politiques, idéologiques, des portraits et interviews, des images et des annonces publicitaires propagandistes ainsi que des contenus militaires.
L’aspect « festif » (Khosrokhavar, 2014) de la guerre n’est plus mis en avant dans les dernières productions audiovisuelles de Daesh dont les titres annoncent leur contenus : « Significations de la détermination », « Des hommes fidèles », « Inciter les croyants », etc. Les nouvelles orientations rhétoriques de la propagande de Daesh ont pour objectif principal de soutenir les moudjahidin. Elles valent également appel au secours, sur les différentes lignes de fronts en Syrie, Iraq, Somalie, Afghanistan, Philippines, etc.
Capture d’écran d’al Nabaa, n°172, 9 février 2019.
L’infographie ci-dessus détaille le nombre d’opérations militaires, de victimes et de véhicules détruites (sans e) dans les différentes wilâyât (« provinces ») de l’‘Etat islamique’ : Khorasan (Afghanistan), Iraq, Châm (Levant), Gharb Ifriquya (Afrique de l’Ouest), Sinaï, Somalie, Tunis. La propagande de Daesh met de plus en plus l’accent et d’une manière équitable sur ses différentes provinces ou « califats » comme réponse à sa défaite territoriale en Irak et en Syrie. En détrônant le Châm (Levant) de la tête du classement de ‘ard al khilafah (« Terre califale »), le groupe djihadiste veut ainsi assurer son existence par le biais d’autres ‘califats’.
(Changement de paragraphe)
Le 28 septembre 2017, Al-Forqan, la maison de production de Daesh en langue arabe, diffuse un enregistrement audio de son chef Abou Bakr al-Baghdadi, appelant les moudjahidîn à « résister face aux infidèles » : « Nous resterons, nous ferons preuve de résistance et de patience […] nous ne céderons pas, bien que nous soyons tués, emprisonnés et malgré nos blessures […] Ce qui importe ce n’est pas le nombre, les équipements et la force des ennemis » a affirmé le calife autoproclamé présumé mort. L’objectif principal de ce discours est de consoler et d’encourager les moudjahidin.
On retrouve cette rhétorique de la patience également dans les récents anasheed publiés par Daesh. Le dernier nasheed en langue française publié en août 2017 sur le thème : « Patientons encore » illustre déjà le recours à ce genre ‘musical’ pour apporter un soutien moral aux moudjahidin. :
« Au câble (habl) d’Allah, il faut qu’on s’accroche
Patientons encore la victoire est proche
Pendant les preuves nos rangs se purifient
Jusqu’au bout les croyants se sacrifient
L’ennemi s’approche de tous les côtés
Mais le croyant fait preuve de loyauté
Avec ces prières remplies de larmes
Il trouve sa force et brandit son arme
Nos femmes nos enfants sont tous menacés
Il est venu le temps de nous surpasser
Plaçons en Dieu toute notre confiance
Nous renouvelons avec lui notre alliance
L’élargissement du champ sémantique de la patience, du sacrifice, de la purification ou encore de la loyauté d’une part, et le recours à des connotateurs affectifs appelant à la vengeance (des « femmes et enfants menacés ») d’autre part, s’inscrit dans cette logique consistant à renforcer l’endurance des partisans de Daesh, au moment ou l’organisation terroriste subi de lourdes défaites.
La vengeance, mythe mobilisateur de Daesh
De latente, la notion de vengeance devient de plus en plus présente et explicite dans le discours propagandiste daeshien. Ce discours repose sur un champ sémantique fraternaliste : « secourir tes frères », « secourir la religion », « aide ton frère et ton Etat », « fais preuve de jalousie envers la religion d’Allâh », « faire triompher la religion ». On joue sur la corde du sentiment d’appartenance communautaire, de l’émotion et de la culpabilisation, avec des interpellations comme : « Vas-tu laisser le mécréant dormir sereinement dans sa maison tandis que les avions des croisés terrorisent, nuit et jour, les enfants et femmes des musulmans par leur vrombissement au-dessus de leur tête ? », ou encore dans la strophe du nasheed mentionné ci-dessus : « Nos femmes et nos enfants sont tous menacés, il est venu le temps de nous surpasser ».
Daesh essaie donc d’attribuer un caractère « sacré » à sa cause, afin de la rendre séduisante aux yeux de jeunes – dont une grande partie s’identifie en tant que victimes de leur société et du système – pour stimuler leurs velléités de vengeance et répondre à leur besoin d’aventure et de gloire. A cetter fin, la propagande développe le discours de victimisation afin de renforcer la colère, le mécontentement et le désespoir, le sentiment d’isolement et le désir d’adhésion fusionnelle et spirituelle non seulement à cette cause dite « sacrée », mais aussi à un groupe particulier « Jamâ’a/firqa najiya » (« la communauté/faction sauvée »), afin de déclencher leur adhésion.
Les djihadistes – dont une grande partie est issue des banlieues et quartiers défavorisés malgré la diversité des profils recrutés – sont à la recherche d’une forme de « reconnaissance » et d’ « héroïsation », si l’on croit l’anthropologue Dounia Bouzar. Dans cette configuration, agir au nom d’une cause « sacrée » devient le moyen « idéal » pour ces jeunes de se « venger » de la société qu’ils accusent de les marginaliser. Donner à leur entreprise criminelle une dimension « sacrée » procure à ces jeunes une nouvelle identité, un nouveau statut social de « modèle », « héro », « martyr », etc., et même une forme d’autorité et de prestige symbolique vis-à-vis de leurs ex-compagnons de galère restés en France. La propagande daeshienne continue à s’appuiyer sur de dispositifs discursifs et visuels pour sacraliser l’image des « soldats du califat » et des « martyrs ».
La métamorphose du discours djihadiste :
La métamorphose du discours djihadiste concerne principalement le tryptique de Daesh : le califat, la hijra et le djihad.
1) Du « califat » aux « califats »
La ‘fin’ de la mythologie du Châm
En 2017, Daesh publie une série de vidéo intitulée « Inside the Khilafa » (Au sein du califat) faisant la promotion de ses nouvelles wilâyât (« provinces »).
Le 23 mai 2017, une bataille de Marawi[8] (supprimer s’) s’éclate entre un groupe armé de djihadiste qui a prêté allégeance à Daesh[9] et l’armée philippine. Une occasion en or pour la machine de terreur daeshienne pour publier une troisième vidéo de la série « Inside the Khilafa » à la gloire des nouveaux « Cavalier du califat » (cf capture d’écran ci-dessus). La vidéo met en scène des images des combats tournées par les combattants en contraste avec des paysages exotiques grandioses afin de déclencher une forme d’excitation sensorielle chez les internautes. Dans cette nouvelle configuration, la hijra (l’exode) n’est plus associée à la mythologie topologique du Châm comme refuge des croyants à la fin des temps mais plus directement à l’action djihadiste.
2) De la « hijra au Châm » à la « hijra vers Allah et son prophète »
En effet, le terme hijra renvoie dans l’imaginaire musulman à l’exil du prophète Mohamed de la Mecque à Médine en 622 de l’hégire. Cette notion a toujours occupé une place centrale dans la propagande, notamment après le sermon du calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi le 29 juin 2014 à la grande mosquée d’Al-Nouri à Mossoul en Iraq(cf la capture d’écran ci-dessous)
Dabiq, magazine anglophone de Daesh. N°1, Juin 2014.
Dans l’idéologie djihadiste, la hijra (exode) vers la demeure de l’islam est une « obligation » (fard ‘ayn) pour tous les musulmans (Bouzar, Caupenne, Valsan, 2014). Ceux et celles qui l’accomplissent seront considéré.e.s comme « élu.e.s », faisant partie de la secte sauvée (al firqa an-najiya). Il s’agit d’une notion très investie par Muhammad Ibn ‘Abd al Wahhâb, le fondateur du wahhabisme[10], et reprise par Daesh comme argument de propagande pour susciter des vocations : « La hijra est le déplacement du pays de mécréance (al-shirk) au pays de l’islam, et c’est une obligation pour cette communauté (umma) ».
Dans le numéro 97 d’Al nabaa, paru le 15 septembre 2017, Daesh présente sa nouvelle conception de la hijra ilallah wa rasouleh, « L’exode vers Dieu et son messager » (Mahomet) : (cf capture d’écran ci-dessous)
« Il existe deux types de hijra : la hijra corporelle (bel jassad) d’un pays à un autre et dont les règles sont connues. Or, cette dernière n’est pas notre sujet. La deuxième est une hijra bil qalb (du cœur) vers Dieu et son messager, qui est le sujet du présent article. Cette dernière constitue la vraie (haqiqiyya) hijra originelle […] »
Daesh mobilise dans cet article un corpus religieux important afin de légitimer ses propos. Ce corpus est constitué de 5 versets coraniques, 5 hadith (actions et paroles attribuées au prophète), et une citation d’Ibn al Qayyim al Jawziyya (1292-1350), le « disciple le plus dévoué et le plus célèbre » de « l’éminent théologien hanbalite » (Zouggar, 2018) Ibn Taymiyya (1263-1328). Les productions médiatiques de Daesh sont en effet abondamment émaillées de citations de ces deux savants notamment sur la conception d’Ibn Taymiyyah de « l’alliance et la rupture » (al-walâa wal barâa) (cf Bouzar & Valsan, 2016) qui constitue le « code légal » (Hassan, 2016) du groupe. En s’appuyant sur ce concept, Daesh distingue ceux qu’ils considèrent comme des « vrais croyants » (Hafez, 2011) de ceux qui ne le sont pas afin de « légitimer » leur extermination.
Les « effets d’exposition possible » à la propagande
La propagande de Daesh engendre des « effets d’exposition possible » (Bulinge, 2014) sur l’individu. Ils sont, selon Bulinge, de 5 ordres. La sensibilisation constitue la première étape dans ce processus. « Il s’agit d’informer et d’argumenter en vue d’instaurer un état de tolérance à l’égard d’un point de vue ou d’un système de valeurs différent. La propagande de Daesh s’appuie principalement sur des perceptions autour des valeurs morales de l’islam ou les récompenses des ‘Vertueux’ dans l’au-delà. Les discriminations ou les meurtres à l’encontre des musulmans sont également évoqués dans cette étape » (Bulinge, 2014).
Le conditionnement est la phase « d’amorçage cognitif » qui suit la sensibilisation et marque le début du stade de la manipulation. Durant cette nouvelle phase préparatoire, la cible est préparée à un état d’esprit qui permet de s’assurer de sa sympathie pour la cause. La propagande de Daesh utilise une rhétorique autour de la victimisation des musulmans, des théories complotistes ou de l’islamophobie pour légitimer et appuyer son système de valeurs.
Vient ensuite l’endoctrinement durant laquelle l’individu se met à l’acceptation et à l’apprentissage de la doctrine. Il adhère aux valeurs et croyances qui lui sont inculquées et tourne le dos à son entourage. La consommation des productions médiatiques propagandistes est caractéristique de cette étape (vidéos, images, chants djihadistes ou anasheed). L’endoctrinement se diffère de l’embrigadement, la phasedurant laquelle l’individu intègre le groupe dont il s’approprie les gestes, les paroles et les comportements (Bouzar 2018). Porter le voile intégral, arrêter les cours de sport à l’école, voire même abandonner l’école peuvent être considérés comme des signes d’adhésion à l’idéologie radicale pour une fille. Il faut toutefois garder à l’esprit que la dissimulation est de plus en plus recommandée pour éviter l’interruption du processus de radicalisation.
Le processus s’achève avec la dernière étape, l’incitation au passage à l’acte où le ou la recruteur.e invite l’individu à accomplir une action recommandée telle que la migration (hijra) vers des zones de conflits ou la perpétration d’un attentat terroriste. La propagande de Daesh diffuse des indications et des recommandations pour le passage à l’acte terroriste (fabrication d’une ceinture explosive, recours à l’arme blanche ou à l’acte incendiaire terroriste) ainsi que pour l’identification des cibles et les lieux.
Connaître les nouveaux codes discursifs et visuels
Le phénomène Daesh, système reposant sur des « formes de pensée collective s’écartant des règles de la pensée ordinaire de l’homme moderne » (Boudon, 2001), se caractérise par sa complexité. Cela nécessite de renforcer les efforts de recherche et la mise en place de politiques de lutte contre cette idéologie néofasciste, au niveau de la prévention et de « déradicalisation » (Hussein, 2016a) ou désengagement. Dans un contexte marqué par la polarisation et la montée en puissance de l’extrémisme violent, toute politique de prise en charge des personnes extrémistes doit impérativement s’appuyer (italic) sur la connaissance des stratégies de communication des groupes extrémistes, de leur place dans l’espace numérique, leurs stratégies de dissémination et de leurs impacts sur les croyances des individus.
Les recherches dans le domaine de la sociologie de la communication et des sciences de l’information et de la communication offrent aussi la possibilité de déconstruire ces discours extrémistes et l’imaginaire qu’ils véhiculent, accompagnées du recours à la linguistique, ainsi qu’en islamologie. L’analyse de cette propagande par l’image, le texte et le chant via des approches socio-sémiotique et sémantique, concoure à délégitimer la sacralité de l’idéologie djihadiste. Ces approches permettent ainsi de démontrer les paradoxes, ruses et contradictions des discours extrémistes, de démasquer les stratégies de détournement des textes et images ainsi que les techniques de manipulations déployées par les groupes extrémistes. Comme nous avons essayé de le montrer par ailleurs en travaillant sur l’imaginaire des hourî (vierges) ou encore sur l’ambivalence de l’image du prophète (Hussein, 2016b & 2017b). Cette connaissance peut aider les professionnel.l.e.s à concevoir des outils spécifiques de contre-discours très utiles dans le cadre d’un processus de désengagement.
Références
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Bouzar D., 2018, Français radicalisés, l’enquête, Ce que révèle l’accompagnement de 1000 jeunes et de leurs familles, Ed de l’Atelier.
Bouzar D., 2014, La mutation du discours djihadiste : les nouvelles formes de radicalisme musulman. In: Cahiers de la Sécurité et de la Justice – N° 30 – La Radicalisation Violente. La Documentation Française. Paris.
Bouzar D., Caupenne C., Valsan S., 2014, La métamorphose opérée chez le jeune par les nouveaux discours terroristes, https://www.bouzar-expertises.fr/livres-blancs
Bouzar D. & Valsan S., 2016, Détecter le passage à l’acte violent par la manipulation des termes musulmans par Daesh, https://www.bouzar-expertises.fr/livres-blancs
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[1] La coalition, dirigée par les Etats-Unis, réunit une soixantaine de pays pour lutter contre l’expansion de Daesh. « Entre août et juillet 2016, les avions de la coalition conduisent 13803 frappes arériennes, dont 9273 en Irak et 4530 en Syrie. L’armée française a effectué 4000 sorties aériennes et 600 frappes en appui de l’armée irakienne. » rapporte LaCroix dans une tribune publiée le 18/08/2017. https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Quels-sont-pays-membres-coalition-anti-Daech-2017-08-18-1200870472
[2] Le rapport complet est disponible sur le lien suivant : https://web.archive.org/web/20201101002009/https://visionofhumanity.org/app/uploads/2018/12/Global-Terrorism-Index-2018-1.pdf
[3] Elle est en effet classée 30e pays le plus impacté par le terrorisme parmi les 163 pays étudiés. Le Belgique est classé 48e juste après la Tunisie. Les critères retenus pour établir le score sont constitués par le nombre d’incidents terroristes sur une année, le nombre de victimes du terrorisme, le nombre de blessés suite à des attaques terroristes, et l’évaluation des dégâts matériels causés par des incidents terroristes.
[4] La stratégie offshore désigne une activité de production déterrotérialisée.
[5] Les « géants numériques » regroupent au total une quinzaine d’acteurs d’Internet dont Twitter, Linkedin, Microsoft, Netflix, etc.
[6] Créée en 2013 par des informaticiens russes pour échapper à la surveillance du gouvernement de Poutine. L’application fonctionne comme un outil de messagerie classique et porpose ainsi des « channels », des forums de discussions et des « chats secrets » dont les messages s’autodétruisent après avoir été lus par son destinataire. L’application est largement utilisée par les groupes terroristes.
[7] « Daesh : la propagande continue » , entretien avec Matteo Puxton, agrégé d’histoire et auteur d’Historicoblog, réalisé par Pascale Veysset, TV5monde, 27 janvier 2019. https://information.tv5monde.com/info/daech-la-propagande-continue-282126
[8] Une ville de 20000 habitants à majorité musulmane située dans la région autonome en Mindanao musulmane.
[9] Le nombre de combattants qui ont rejoint le groupe est estimé à 500 dont des Indonésiens, des Yéménites, des Tchétchènes et des Saoudiens.
[10] Le wahhabisme est un mouvement politico-religieux né au XVIIé siècle en Arabie saoudite qui prône un retour aux sources de l’islam (Coran et Hadith). Voir à ce sujet Hamadi Redissi, « Une histoire du wahhbnisme, Seuil, 2016.